Yves de Montcheuil
La vie du Père Yves de Montcheuil, jésuite, théologien et résistant
Naissance d’une vocation
Yves de Montcheuil est né en 1900 à Paimpol. Pour son éducation, son père le confiera à des religieux plutôt qu’à des maîtres laïcs. Il terminera même ses études hors de France, pour suivre le collège des jésuites alors en exil à Jersey.
En 1916, alors qu’il se destinait à rentrer dans la marine, il change d’avis après la disparition de son frère à Verdun, et il rentre au noviciat en 1917. Né un peu trop tard pour participer à une guerre qui vient d’engloutir son frère, il aurait eu en quelque sorte une vocation de substitution : faute de pouvoir remplacer le disparu les armes à la main, il aurait décidé de le remplacer avec les armes de l’esprit.
Un jésuite théologien et professeur
Après son service militaire, en 1922, il commence ses études de philosophie. Il suit sa longue initiation dans la Compagnie de Jésus sans se rebeller, mais non sans souffrir avant de la critiquer. Il complète sa formation par un énorme travail personnel, notamment par l’étude des écrits du philosophe Maurice Blondel, mais aussi de Kant, Bergson (philosophes pas toujours en vue dans les sphères cléricales)… Il acquiert ainsi une culture d’une variété et d’une ouverture qui surprendront ses auditoires.
Après 1930, sans délaisser la philosophie qui le passionne, il entame un parcours de théologien. Il réussit brillamment ses études bien qu’il soit critique sur l’enseignement reçu. En 1936 il soutient sa thèse en Théologie « Malebranche et le quiétisme » (édition Aubier 1947) ; thèse où il refuse toute séparation nuisible entre la théologie et la mystique d’un côté, la philosophie de l’autre. La même année, il devient professeur à l’Institut Catholique de Paris. Il y dispense un enseignement solide, clair et sans artifice. Cependant, il ne limite pas son ministère à l’enseignement théorique, il se met au service de communautés croyantes variées. Il devient aumônier ou plutôt « médecin-consultant » auprès d’étudiants, d’enseignants, de groupes de foyers… mais aussi auprès de la JOC, de l’action catholique féminine…
Un prêtre résistant

Un des cahiers du Témoignage Chrétien
Pendant la guerre, il entre en résistance spirituelle. A partir de 1942, il participe activement à l’élaboration des cahiers du Témoignage chrétien et son rôle est capital dans sa diffusion dans la zone nord. Il dénonce l’antisémitisme comme étant incompatible avec le christianisme. Il appelle les chrétiens à réveiller leurs consciences, à témoigner.
C’est donc assez logiquement, pendant l’été 1943 et à Pâques 1944, au cours de séjours de camps de jeunes, qu’il est appelé auprès de résistants du Vercors. En effet, de jeunes chrétiens combattants s’y trouvent, dépourvus de sacrements et aux prises avec des problèmes de conscience qu’ils ne peuvent résoudre seuls. En juillet 44, il gagne le plateau du Vercors pour ce qui devait être une brève enquête de terrain. Mais il arrive fortuitement sur le Vercors quelques jours avant l’attaque allemande. Au lieu d’essayer de s’enfuir avec les hommes valides, il décide de rester avec les grands blessés. Pris dans la grotte de la Luire avec les médecins, les infirmières et les blessés, il est emprisonné à Grenoble et fusillé avec plusieurs de ses codétenus dans la nuit du 10 au 11 août 1944.

Plaque commémorative de la grotte de Luire
Un théologien du mystère chrétien
Après la guerre, convaincu de la pertinence de l’œuvre théologique du Père de Montcheuil, le futur Cardinal de Lubac (l’ami de toujours pour qui sa disparition fut un drame) va s’efforcer de la faire vivre en publiant les écrits. Il s’agit de rassembler diverses pièces (thèses, instructions, cours…) qui n’étaient pas forcément prévues pour être publiées ensemble. Mais le fil conducteur est présent et, en librairie, les livres rencontrent un net succès.
Les best-sellers ne sont pas forcement les ouvrages techniques mais plutôt les cours pour un public non spécialisé comme ceux qu’il aurait aimé recevoir pendant sa formation. « Leçons sur le Christ« , « Aspects de l’Église » et « Problèmes de vie spirituelle » sont plusieurs fois réédités. Dans un style solide et carré, Yves de Montcheuil fournit à ses lecteurs une présentation du mystère chrétien parfaitement adaptée à ce qu’ils vivent : ses écrits font du Christ un compagnon de route sans amoindrir d’autant sa stature divine.
Aujourd’hui si son message est quelque peu oublié, ne serait-ce pas parce qu’il a trop bien réussi ? Sa théologie est devenue ou redevenue, avec le concile Vatican II, la théologie dominante de l’Église catholique. Sa mort à 44 ans a brutalement interrompu un itinéraire qui promettait bien d’autres développements.
> Source : Bibliographie d’Étienne Fouilloux : Yves de Montcheuil Philosophe et Théologien Jésuite, aux Editions Média Sèvres, et d’après le livre de Henri de Lubac : Trois jésuites nous parlent, aux Editions Lethielleux.
Bibliographie
Les ouvrages du P. Yves de Montcheuil
- Le Royaume et ses exigences (réédition – Desclée de Brouwer)
- Problèmes de la vie spirituelle (réédition – Desclée de Brouwer)
- Aspects de l’Eglise (Ed – Le Seuil)
Les ouvrages du P. Bernard Sesboüé sj
Le P. Bernard Sesboüé sj, théologien et enseignant au Centre Sèvres vient de consacrer un travail important sur la vie et l’œuvre de Yves de Montcheuil. Ses recherches ont abouti à la publication du livre « Yves de Montcheuil (1900-1944) Précurseur en théologie« , paru aux Editions du CERF en septembre 2006. Le P. Sesboüé sj a aussi oublié Les Cahiers clandestins du Témoignage chrétien aux Editions Albin Michel.
Pour en savoir plus :
- Yves de Montcheuil, maître spirituel, article de la revue Christus n° 213 de janvier 2017
- Trois jésuites nous parlent : Yves de Montcheuil, Charles Nicolet, Jean Zupan, sous la direction de Henri de Lubac, aux Editions Lethielleux, 1980,
- La Résistance spirituelle, 1941-1944, Textes présentés par François et Renée Bédarida,
- Le regard renouvelé sur le Christ du P. Yves de Montcheuil, article du Journal La Croix, 2 juin 2016
Quelques citations
« On ne se rend pas toujours assez compte que la relation d’amour entre les personnes n’est pas une relation qui s’ajoute aux autres et les couronne en les laissant intactes. Elle les transforme de fond en comble. Elle transfigure la vie morale en donnant un nouveau principe de jugement, une nouvelle norme d’appréciation, un nouveau centre de référence. »
Problèmes de vie spirituelle, l’obligation d’être parfait, édition de l’Épi, 1942, p. 73
« Il y a un durcissement du cœur qui ne se mesure pas toujours au nombre et à la gravité des péchés. Une vie relativement honnête aux yeux du monde peut cacher une couche de froid égoïsme, plus épaisse que la vie scandaleuse d’un pécheur déclaré. Mais l’homme fait à l’image de Dieu garde toujours, fût-ce enfoui au plus profond, le sens de la vie divine. Puisqu’il porte la ressemblance du Dieu qui est Amour, il reste toujours capable de retrouver le goût de l’Amour. C’est pourquoi l’apôtre ne doit désespérer d’aucune âme. »
Problèmes de vie spirituelle, l’obligation d’être parfait, édition de l’Épi, 1942, p.26
« C’est désormais en vertu même de la charité que rien de ce qui est humain ne peut nous être indifférent. Toute restriction apportée à l’amour de l’humanité, soit en extension, soit en intensité, ne peut plus venir, pour quiconque a devant les yeux cette vue de foi, que d’une déficience de son amour de Dieu. »
« L’apôtre s’interdit tout ce qui captive l’homme même à son insu. Car il sait que par là on frustre Dieu de la seule chose qui ait du prix pour lui : une liberté qui dans la plénitude de la maîtrise d’elle-même se donne par amour. »
« Le témoignage est appel à une liberté sans être pression sur elle. Car il montre à l’homme, transparaissant dans une vie semblable à la sienne, cet idéal dont l’attrait n’est jamais totalement absent de son cœur. Il est donc capable de le rendre attentif à l’appel que Dieu ne cesse de lui faire entendre à la « fine pointe de l’âme ».
Problèmes de vie spirituelle, l’obligation d’être parfait, édition de l’Épi, 1942, p.27
« Sans ce « goût de vivre », sans cette ardeur de l’âme, ce débordement intense de vitalité, il n’y a pas de vie religieuse intense, mais atonie et médiocrité. C’est une grande illusion de croire que ce goût de vivre existera, de qualité authentique, dans la vie religieuse, si on l’empêche d’exister sur le plan des activités naturelles. Il faut en conclure que tout ce qui détériore l’homme nuit au chrétien. »
Problèmes de vie spirituelle, l’humanisme chrétien, édition de l’Épi, 1942, p.161
« Tout ce qui développera l’humanité, tout ce qui la perfectionnera dans sa propre ligne, tout ce qui en approfondira les ressources, sera en quelque manière pour Jésus-Christ lui-même, en tant qu’il est son chef et qu’il veut se l’incorporer toute, une première étape de son achèvement ».
« Ceux qui aiment sincèrement la vérité, fille de l’Esprit Saint, ne sont pas ceux qui n’acceptent de la contempler que là où elle brille de tout son éclat, mais ceux à qui elle est si chère qu’ils en recueillent partout les moindres fragments, qu’ils la recherchent partout, même là où l’ignorance et la perversité des hommes l’ont rendue méconnaissable. Ceux qui n’ont pas le courage de l’aimer là où elle est défigurée, ne sont pas capables d’avoir pour elle un amour pur là où elle se révèle dans toute sa gloire. »
Problèmes de vie spirituelle, l’humanisme chrétien, édition de l’Épi, 1942, p.182