Immigration :
trouver un juste milieu
Tribune écrite pour le journal Le Monde par Antoine Paumard, directeur de JRS France
Sur la question de la politique d’accueil des demandeurs d’asile, nous n’avons pas de leçon à donner, car pour cela, il faudrait savoir ce qu’il faut faire, or nous ne le savons pas. Nous ? Des femmes et des hommes, des personnes âgées et des jeunes, des musulmans, des athées et des chrétiens, en famille, en communautés religieuses, en colocs, dans une maison ou un appartement, des bénévoles ou des salariés de conditions sociales variées, de milieu rural ou urbain, qui accueillons chez nous des demandeurs d’asile.
Nous ne pouvons pas taire qu’il y a de la joie à rencontrer des personnes migrantes, qu’ils nous apportent le plus souvent une belle leçon de vie.
Nous ne pouvons pas taire que la rencontre nous expose ensemble à une altérité radicale et que nous sommes traversés par des questions délicates telles que la relation femme-homme, l’interculturalité, la place de la religion dans notre vie, le partage des ressources entre pays. La relation que nous entretenons avec eux nous permet de revisiter des questions auxquelles notre société a du mal à faire face, et nous aide à avancer personnellement et collectivement.
Nous reconnaissons que les fonctionnaires, les enseignants et les policiers, le personnel soignant et les magistrats font ce qu’ils peuvent… avec peu de moyens, peu de reconnaissance, mais souvent un grand coeur. La majorité cherche, comme nous, à garder l’homme au centre, en silence.
Certes, tous ne le font pas, mais nous qui sommes au contact des migrants, nous savons qu’il ne faut jamais prendre une partie pour le tout. Il est de notre responsabilité de valoriser ce qui est bon dans l’immense majorité d’entre eux : fonctionnaires comme migrants.
Complexité des choix
Nous sommes conscients que les personnes migrantes ont des devoirs, mais qui est là pour le leur dire d’une manière intelligible ? Nous savons qu’elles ont des droits et nous constatons qu’au fil des années, il faut beaucoup se battre, pour voir pourtant ces droits de moins en moins appliqués.
Nous les connaissons par leur prénom. Elles nous appellent pour prendre de nos nouvelles pendant le confinement, nous envoient des textos pour nous consoler lors de l’incendie de Notre-Dame ou partager notre joie à Noël. Elles apprennent le français en plein air. Elles s’engagent comme bénévoles dans des associations pour pallier la honte de ne pouvoir travailler. Elles cherchent du travail, acceptent le déclassement social… Mais surtout, elles cherchent la paix.
Nous témoignons de la force et du grand désir de s’intégrer qui habitent la
plupart d’entre eux à leur arrivée dans notre pays. À force d’attente, de méandres administratifs, des pièces demandées qui ne suffisent jamais, d’interdiction de travailler et d’impossibilité d’apprendre le français, nous les mettons à l’étouffée… Nous devons crier que nous avons vu de nos yeux vu des personnes préférer s’éteindre à petit feu que de tomber dans la violence.
Nous ne disons pas qu’il faut fermer les frontières ni ne pensons qu’il faut les ouvrir en grand. Nous ne disons pas qu’il faut accueillir tout le monde ni qu’il ne faut accueillir personne. Nous ne considérons pas que l’immigration est subie si la France a délibérément signé des conventions internationales. Nous vivons intimement la présence des personnes déboutées du droit d’asile sur notre territoire. La complexité des choix que leur situation pose à tout le monde nous donne le souhait de participer à une réflexion profonde les concernant. Les réponses ne sont pas simples et ne seront pas trouvées sans une écoute et un dialogue.
Nous essayons de trouver un juste milieu, nous souhaitons rappeler la dignité inaliénable de chaque personne humaine indépendamment de son origine, de sa couleur ou de sa religion. Nous supplions ceux qui en ont le pouvoir de remettre l’homme et la femme au centre de leurs décisions
Antoine Paumard
Directeur du Service jésuite des réfugiés France
Antoine Paumard, le directeur du Service jésuite des réfugiés (JRS) qui vient en aide aux demandeurs d’asile, témoigne, dans une tribune au « Monde », du grand désir de s’intégrer qui habite la plupart des migrants à leur arrivée dans notre pays.